Sanctionner un manquement du courtier

Maître Julien BESSERMANN,
Avocat associé du cabinet d’Avocats LAWINS

Attention au point de départ !

Prescription de l’action visant à faire sanctionner un manquement du courtier à son obligation précontractuelle d’information et de conseil : Attention au point de départ

Plusieurs décisions récentes se sont prononcées sur le point de départ de la prescription de l’action tendant à mettre en jeu la responsabilité d’un courtier sur le fondement d’un manquement à son obligation précontractuelle d’information et de conseil. Avant de se pencher particulièrement sur l’arrêt rendu le 20 janvier dernier par la Cour de cassation et sur celui rendu le 9 mars dernier par la Cour d’Appel de Paris, quelques rappels ne sont pas inutiles.

Quel délai de prescription pour l’action visant à faire sanctionner un manquement du courtier à son obligation précontractuelle d’information et de conseil ?

Le droit commun de la prescription est gouverné par l’article 2224 du Code civil qui prévoit que : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans (…) ».

Néanmoins, l’article L.114-1 du Code des assurances prévoit quant à lui que « Toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance. »

La question s’est alors posée de savoir de quel régime dépendait l’action en responsabilité précontractuelle du courtier.

La réponse ne fait aujourd’hui aucun doute dès lors que la Cour de cassation a pu confirmer que :

  • La prescription biennale n’a lieu de jouer que pour les actions dérivant du contrat d’assurance ;
  • L’action engagée contre l’intermédiaire d’assurance sur le fondement d’un manquement à l’obligation précontractuelle d’information et de conseil ne dérive pas du contrat d’assurance.

Cette action n’est donc pas soumise à la prescription biennale mais à la prescription quinquennale de droit commun.

Quelle est la nature de l’action visant à faire sanctionner un manquement du courtier à son obligation précontractuelle d’information et de conseil ?

La question de la nature de l’action influe sur le point de départ de la prescription.

La jurisprudence affirme de manière constante que l’action visant à sanctionner un manquement à l’obligation d’information et de conseil tend à réparer un préjudice constitué par une perte de chance de ne pas contracter le contrat litigieux.

Or, cette perte de chance de ne pas contracter se manifeste nécessairement lors de la conclusion dudit contrat.

La Cour de cassation retient par exemple, en matière de responsabilité liées à l’octroi d’un crédit, que le dommage résultant d’un manquement à l’obligation de mise en garde consiste en une perte de chance de ne pas contracter qui se manifeste dès l’octroi des crédits. C’est également la solution qui sera retenue en matière de contrat d’assurance vie (voir supra).

Quel est le point de départ de la prescription de l’action visant à faire sanctionner un manquement du courtier à son obligation précontractuelle d’information et de conseil ?

L’article 2224 du Code civil qui, on l’a vu, instaure le délai de prescription quinquennale prévoit également que l’action commence à se prescrire « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

La jurisprudence très récente vient de donner nous trois deux illustrations de ce principe :

  • Fixation du point de départ de la prescription au jour de la conclusion du contrat d’assurance vie même en présence d’un produit structuré Dans cette décision, le souscripteur d’un produit structuré composé d’un panier de 40 actions internationales soutenait que le point de départ de la prescription devait être reporté à la date d’échéance finale de cette unité de compte.

Néanmoins, la Cour d’Appel de Paris n’a pas varié dans son positionnement et a jugé que : « (…) le dommage résultant d’un manquement à une obligation d’information, de conseil précontractuelle, ou de mise en garde de l’investisseur consiste en une perte de chance de ne pas contracter ou de contracter dans de meilleures conditions ou de manière différente, dommage qui se manifeste ainsi dès la conclusion du contrat. » (Cour d’appel de Paris, 9 mars 2021, n° 19/10565)

En l’espèce, la Cour d’Appel a donc décidé que l’assuré a connu ou aurait dû connaître les faits qui fondent son action dès la conclusion du contrat puisqu’il savait, dès cette date, que ses capitaux étaient exposés à un risque de perte.

• Fixation du point de départ de la prescription au jour où l’assuré a pris connaissance des moinsvalues présentes sur son contrat d’assurance vie

Les faits qui ont donné lieu à cet arrêt sont simples. Le souscripteur d’un contrat d’assurance sur la vie a assigné son courtier et son assureur soutenant que, depuis 2008, son capital avait subi des moins-values importantes.

Le souscripteur mécontent reproche donc à ses contractants un manquement à leur obligation précontractuelle de conseil et d’information, argument auquel le courtier et l’assureur répondent en invoquant la prescription.

Ainsi, à supposer que le professionnel n’arrive pas à démontrer que les documents contractuels et précontractuels ont bien été remis à l’assuré lors de la souscription, la rédaction de l’article 2224 du Code civil entraine un report du point de départ de la prescription au jour où l’assuré « a connu ou aurait dû connaître » les faits permettant d’exercer son action.

Le plus souvent il s’agira de la prise de conscience, par le souscripteur, que les capitaux investis sont exposés au risque de fluctuations liés à l’évolution des marchés financiers. Celle-ci sera notamment matérialisée par la réception des lettres annuelles d’information laissant apparaître une moins-value.

Si l’on ne sait pas si, dans cette décision, la remise des documents contractuels était contestée, il apparaît néanmoins que la Cour de cassation va fixer le point de départ de l’action en s’appuyant sur plusieurs éléments.

D’une part, elle va constater que le souscripteur reconnaissait lui-même dans ses écritures « avoir eu connaissance dès fin 2008 du principe et d’un montant déterminé de pertes subies ».

D’autre part, la Cour a également relevé que le souscripteur avait été destinataire d’une lettre annuelle d’information faisant apparaître une moins-value au 31 décembre 2008.

C’est ainsi qu’elle a pu décider de fixer le point de départ du délai de prescription à la fin de l’année 2008 dès lors que c’est incontestablement à cette date que le souscripteur « a connu ou aurait dû connaître » les faits permettant d’exercer son action.

En assurance vie, la prescription de l’action tendant à mettre en jeu la responsabilité d’un courtier sur le fondement d’un manquement à son obligation précontractuelle d’information et de conseil peut donc avoir plusieurs points de départ alternatifs : la souscription du contrat puisque c’est à cette date que se manifeste la perte de chance de ne pas contracter… mais également l’information de l’existence d’une moins-value par les lettres d’information annuelle ou encore la reconnaissance par le souscripteur lui-même de l’existence de cette moins-value !

  • Fixation du point de départ de la prescription au jour du refus de garantie en matière d’assurance emprunteur

Par une troisième décision récente, la Cour de cassation a indiqué que le dommage résultant d’un défaut d’information de l’emprunteur sur l’étendue des risques couverts par l’assurance souscrite se réalisait au moment du refus de garantie opposé par l’assureur.

La position de la Cour de cassation, extrêmement favorable aux assurés, parait justifiée par des considérations d’opportunités.

En effet, si certains auteurs ont pu estimer qu’en assurance emprunteur, la réalisation du risque n’apparaît que tardivement, il nous semble néanmoins que les documents contractuels remis à l’assuré lui permettent de connaitre, dès la souscription du contrat, l’étendue des obligations de l’assureur envers lui (conditions d’assurance, exclusions éventuelles, etc…).

Le point de départ de la prescription pourrait donc tout à fait être fixé au jour de la conclusion du contrat et non au jour du refus de garantie opposé par l’assureur ! Ces trois décisions rendues en moins de trois mois démontrent que ces questions procédurales, aux conséquences pratiques considérables, ont encore de beaux jours devant elles.

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